Critique de Christian Noorbergen – Mai 2012

Cristina Marquès, ses talismans de lumière

On voit de petits morceaux de mur qui ne font jamais barrage. De fins murs d’ouverture. Le plexiglas métamorphosé en saisissantes merveilles. Les subtiles fenêtres d’espace de Cristina Marquès éloignent les ombres mauvaises. Elles s’ouvrent vers l’ailleurs, s’élancent vers les hauteurs, et font taire les pesanteurs. Art d’élans, de transparences et de lumineuses frontières. On voit de fragiles murailles de vives clartés, de fines chromatiques tendues comme des sparadraps, et d’infimes bulles d’univers. Cristina Marquès attaque fort, dans l’essentiel et dans l’ascension. Les pièces créées sont autant de talismans précieux, d’extrême présence, pluriels et fascinants. Ils créent leur espace dans l’espace… Chaque oeuvre est corps de fragilité, borne d’étrange beauté, où l’air et l’eau feraient mariage de matière vivante, toujours marquée de traces vitales.

Le mouvement premier de l’oeuvre enserre l’étendue, l’envoûte, et l’étreint pudiquement. Des traces voyageuses circulent dans cette vibrante respiration d’artiste, et l’innervent de l’intérieur, comme une veine infinie qui pourrait nourrir les creux de l’univers. Ces bulles de vie ne cessent de rêver dans leurs prisons de lumière. Chaque oeuvre est infime morceau d’immensité : le regard traverse l’oeuvre qui traverse l’espace.

Chez Cristina Marquès, il n’y a pas d’apparence: surface et profondeur abandonnent leurs pouvoirs, et font cause partagée. Dehors et dedans, dureté et souplesse, verticales et horizontales, tout fusionne. Puis Cristina Marquès, magicienne chirurgienne d’espace, stoppe son alchimie créatrice au plus tranché de son scalpel mental, et l’oeuvre naît de la chaleur maîtrisée. Sculpture parfaitement ciselée, pure, unique, dense, forte, et vierge de toute opacité. Déploiement arrêté au plus fort de son intensité.

Ses plis de corps subtil, en magiques formules, spatialisées et secrètes, prennent l’univers dans leur sensuel domaine, et s’abandonnent à leurs silencieuses postures. Les plis du corps intime, en nuageuse fluidité, partent à l’assaut du dehors. Cristina Marquès convoque toutes les forces agissantes de l’univers. Des sources végétales, animales et minérales, imprègnent la peau des oeuvres, marquées d’archaïque mémoire, et chargées de sceaux, de sédiments, et d’empreintes. Signes ténus qui soulignent la transparence initiale, clef de voûte véritable de cette création. S’invente une écriture quasi abstraite, vibratile et fouillée. Epiderme intemporel qui protège. L’abstraction sensible de Cristina Marquès s’empare de cette base hétérogène et biologique lourde de nature première, puis elle dépasse les formes d’origine, étirées en vastes courbes, somptueuses et charnelles. Erotique des plis et des replis aux emmêlements déployés, onctueux et ductiles, matérialisant l’affect souterrain. Des serpents de lumière jaillissent et verticalisent l’espace.

Née à Vallauris, cité chargée d’art, et venue du monde des bijoux et du Design, Cristina Marquès invente un trompe-espace à prodiges, un monde flottant de merveilles aériennes, liquides et d’extrême audace formelle, et cela sans excès, sans pathos et sans démesure. Quelque chose de minimaliste, de sobre et de classieux résiste à tout débordement. L’outrance n’est pas son fort. Son architecture enciellée dessine une archéologie des mystères. Quelque chose de l’énergie cosmique habite ces spiraleuses séductions. Le corps invisible qui hante toute oeuvre véritable est ici faillé au profond. Il s’ouvre de toute part aux plus grands désirs.

— Christian Noorbergen