Des Apparitions Translucides
Quand on regarde une sculpture de Cristina Marquès, on en oublie sa véritable dimension. Cela est dû, me semble-t-il, à la translucidité qui caractérise cette œuvre et lui confère une extensibilité en trompe-l’œil. Qu’elles soient monumentales ou minimalistes, ces créations de plexiglas nous emportent dans un univers où il n’y a plus de repères autres que ceux de leur beauté spatiale, et de leur vérité intrinsèque.
On devine, rien qu’aux titres que l’artiste leur donne, des constructions urbaines, des explorations sous-marines, des apparitions légendaires, des constellations verglassées, des buildings transparents pour être à la hauteur du ciel envisagé, des envols, des migrations, des empilements consacrés comme ces cairns qu’on rencontre au Tibet, etc… La liste serait longue dans cette quête d’identification.
Là n’est peut-être pas l’essentiel. Un artiste digne de ce nom ne reproduit pas ce qu’il voit mais il recrée selon ses lois intimes un univers conforme à ses besoins, nés de ses manques, de ses frustrations, de son idéal. On peut penser qu’en ce qui concerne Cristina Marquès, existe en priorité un besoin de clarté, d’ordre, d’harmonie.
Elle écrit sans cesse un texte en hiéroglyphes, où l’art et le sacré ne font plus qu’un. Où le signe visible continue à vibrer jusqu’à trouver son sens.
Les portes de sa perception donnent sur des vertiges, ses abstractions cherchent l’apesanteur d’où l’envol est possible. On dirait quelquefois que la matière oublie ses propres lois, au seul profit de son message.
Cristina Marquès est une charmeuse de formes serpentines, une voyageuse d’atolls célestes, un cœur aimant de diastole et systole.
Parfois la mort affleure en ces œuvres, quelques memento mori pour signifier la valeur de la vie. Alors, le matériau se couvre d’ombre blanche comme s’il gelait. Mais la plupart du temps, Cristina Marquès rend hommage au déroulement de le vie, grâce à une imagination qui cherche à être simple et profonde à la fois. Une imagination translucide à travers laquelle une vie se métamorphose, avec déroulements, enroulements de rubans Möbius vertigineux, d’Ouroboros sans queue ni tête. Autant de constrictions qui vont chercher l’apaisement. Avec humour souvent. Il s’agit là d’un jeu lyrique et spirituel.
Bref, il s’agit d’une écriture spatiale, cosmique, entrelaçant ses arabesques pour le plaisir des yeux et la paix d’un esprit oubliant ses grisailles, sa vieillesse et ses déceptions. Un univers refait par un don de l’enfance. Une translucidité qui n’est que la lucidité d’un esprit créateur.
— Michel Lagrange