Tout a commencé avec la poterie : la longue observation des gestes savants des céramistes de Vallauris a éveillé chez moi un violent désir de création. Pratiquant le pêle-mêle avec les images qui passaient à ma portée, j’avais dès le plus jeune âge l’imagination étirée entre l’œil et la paume, mais le premier élan artistique m’a été inspiré par l’infinie malléabilité que donnait l’eau à la terre.
La Méditerranée, comme ce fût d’ailleurs le cas pour d’innombrables artistes, a formé mon regard à la lumière, à la fois source et miroir de la couleur. J’ai suivi les enseignements de Picasso, qui m’a appris à déconstruire le monde des formes, ainsi que ceux de Chagall, aux récits picturaux aussi naïfs par la forme que profonds par le sens, soutenus toujours par la couleur.
Fascinée par le langage surréaliste de Dalí, j’ai sauté du figuratif à l’abstraction avec Nicolas de Staël et Miró, gardant la palette méditerranéenne au fond de l’œil. J’ai flirté avec la radicalité d’Yves Klein, de son appropriation de la couleur pure, avec l’International Klein Blue, à ses performances expérimentales sur le fil qui sépare le corps de l’essence.
Un couple étrange, Nikki de Saint Phalle, avec ses formes exubérantes et ses couleurs obstinément joyeuses et César, avec ses coulées et ses compressions monumentales, ont achevé de m’orienter vers la matière pleine et généreuse comme source de fécondité artistique. La sculpture est apparue comme une nécessité, mais le matériau qui m’intéressait le plus n’était pas celui, ancestral et naturel, des potiers de Vallauris.
Mon œuvre est un miroir du temps présent, de l’ère du plastique, du cristal factice, aussi la découverte du verre acrylique pendant mes études d’art a-t-elle constitué une épiphanie. Le Plexiglas est mon IKB, dans une tension permanente entre la contingence de la ressource fossile et l’immanence que sa légèreté protéiforme laisse entrevoir.
Ce matériau d’usinage, froid, aux contraintes multiples, devient malléable comme de la glaise au contact de la chaleur. Son élégance, sa puissance évocatrice, viennent de son rapport permanent à la lumière. Ses couleurs translucides m’émeuvent. Les obstacles que posent ce travail font, comme si souvent dans les entreprises humaines, l’attractivité de ce medium et l’étudier, le vaincre, me pousse à mener toujours plus loin l’expérimentation, à repenser les techniques existantes, telles que le bullage et la thermosoudure, et à en inventer de nouvelles, telles que les « empreintes », les « pleats » et les « superpositions ».
Après mes premières œuvres, d’inspiration organique, aux entrelacs et volutes baroques, où la spirale semblait révéler l’ambivalence et la complexité du réel, une direction formellement opposée s’est imposée à moi en 2011. La ligne droite, architecturale et violente, est venue percer une brèche dans cette apparence d’équilibre (Ice Déclinaisons).
Si l’abstraction règne, elle n’a pas lieu dans un vide formaliste, mais au contraire, dans une réflexion distanciée sur la place de l’humain dans le cosmos, sur la terre, dans les espaces urbains, une contemplation du paradoxe fondateur qu’il porte en lui entre liberté et responsabilité, à la fois capable de poésie créatrice et d’ingéniosité destructrice.
Au moment de la création, une sensation de fébrilité totale s’empare de mon être, indescriptible, et le corps et l’esprit s’unissent à la matière. À cet instant, l’œuvre prend vie, libérée de la matière brute par la force de l’imagination, du geste, de la volonté, irradiant d’intensité le monde qui l’entoure et semble s’y contempler.
– Co-écrit avec Odyssée Bouvyer / La Condamine, Octobre 2020